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21 avril 2016 4 21 /04 /avril /2016 13:01

          La ville de Marmande vient de faire l'acquisition du Chemin de Croix de Rémi Trotereau.

Au-delà de la performance artistique de l'auteur, il y a le choc d'une vision différente de la Passion. Ces quatorze stations dérangent par leur réalisme criant ; la souffrance de Jésus y est tellement intense qu'elle oblige souvent le regard à se détourner. Mais la fascination exercée par la force de l'œuvre reprend la primauté. Et le sang du Christ nous éclabousse le visage...

          Le malaise est profond : la violence barbare de ce crime collectif semble renvoyée à leurs véritables auteurs, c'est-à-dire à l'humanité tout entière et donc au spectateur lui-même.

Découverte des tableaux

          Une découverte de ces toiles avait été spécialement organisée pour notre Journal paroissial par madame Laurence Valay, adjointe au maire, en charge de la culture, et madame Pascale Maurel, directrice du musée Marzelles.

LE CHEMIN DE CROIX DU PEINTRE RÉMI TROTEREAU

Les tableaux furent présentés dans la salle Abel Boyé, à l'étage du musée. Même si cette cohabitation provisoire revêtait un caractère insolite et baroque, le regard n'était pas mécontent de pouvoir parfois se réfugier, le temps d'un coup d'oeil reposant, sur les visages sereins des modèles du peintre marmandais le plus célèbre.

Itinéraire du Chemin de Croix

Lors de la dernière réunion du conseil municipal de Marmande* monsieur Daniel Benquet avait déclaré que l'acquisition de ces œuvres constituait notamment une « reconnaissance de l'engagement de la ville dans le domaine de l'art pictural contemporain ainsi que celle du travail de la galerie Égrégore ». C'est, en effet, par l'intermédiaire de monsieur Jean Guérard, directeur de la galerie, que cette opération fut réalisée.

Entre Marciac, où se trouve l'atelier du peintre, et Marmande, leur destination finale, les quatorze tableaux auront été présentés au public en différentes occasions. La basilique Saint-Sernin de Toulouse fut leur premier écrin pendant toute la durée du Carême de 2012. De fait, le Chemin de Croix a été conçu en réponse à une demande de monseigneur Robert Le Gall pour cette exposition provisoire.

De retour dans le Gers, les toiles ont été exposées à la chapelle Notre-Dame-de-la-Croix à Marciac puis à la collégiale de La Romieu. Elles ont à nouveau voyagé à plusieurs reprises avant de rejoindre, en 2015, les piliers de l'église Notre-Dame de Marmande puis les cimaises de la galerie Égrégore.

Comme tous les visiteurs précédents, le maire et les membres du conseil municipal de Marmande ont été conquis par cette œuvre désormais emblématique de l'art sacré du XXIème siècle. L'acquisition des quatorze stations a d'ailleurs été votée à l'unanimité lors de la dernière séance du conseil municipal*.

Dans quelques temps, les élus se réuniront en commission afin d'étudier quel pourrait être le meilleur site possible pour la mise en valeur de ces tableaux. Si le maire souhaiterait ce lieu proche du cloître, il précise que ce ne sera pas l'église Notre-Dame. La galerie du cloître fut un temps évoquée mais une exposition en ce lieu apparaîtrait difficilement envisageable en raison des aléas climatiques et des problèmes liés à la sécurité ; la chapelle Caillade, quant à elle, semble trop petite.

 

STATIONS 2- 4 - 6STATIONS 2- 4 - 6STATIONS 2- 4 - 6

STATIONS 2- 4 - 6

Quelques impressions

          Une étrange et inusuelle nuance de rouge domine l'ensemble de ces quatorze stations présentées dans leur totalité ; elle déconcerte le spectateur et lui font perdre d'emblée tous ses repères chromatiques. Ce ton particulier ne serait-il pas celui du sang séché ou peut-être de la terre de Palestine ? Le sang pleure en effet abondamment sur la toile, quand cette dernière n'en est pas maculée de fulgurantes projections.

         Le Christ exposé par Rémi Trotereau est terrassé par la souffrance ; son corps n'est plus qu'une plaie ruisselante. Sa première chute (3ème Station) est terrible ; il a le rictus béant d'une douleur aiguë et retenue et semble d'ailleurs ne formuler aucune plainte ; son regard est dirigé vers le Ciel, tout comme les épines, étrangement raidies, de sa couronne. Il aura ensuite, et jusqu'à sa mort, une acceptation silencieuse de sa condition de victime sacrificielle. Au moment de sa mise au tombeau, il n'est déjà plus là, nous laissant juste ses deux mains en forme de croix. 

STATIONS   7 - 8- 9STATIONS   7 - 8- 9STATIONS   7 - 8- 9

STATIONS 7 - 8- 9

          Les mains occupent une place toute particulière dans ce cycle pictural dont il n'existe aucun équivalent dans l'histoire de l'art sacré. Jamais on n'avait vu un Chemin de Croix dont trois des stations sont uniquement consacrées à la représentation de mains. Celles de Pilate qui se lavent, en constituent le funèbre lever de rideau. Viendront plus tard celles d'un garde arrachant les vêtements du supplicié. Enfin, à la toute dernière station, au moment de sa mise au tombeau, celles de Jésus, croisées, clôturent le dernier acte de l'exécution déicide.

          On souhaiterait prendre le temps de les admirer, ces dernières mains, délicates, aux longs doigts d'artiste, mais leur positionnement si particulier sur le corps outragé suscite une profonde gêne et impose au regard de se détouner.

          Les portraits des femmes qui accompagnent le Christ semblent avoir été représentés sous la forme d'images vectorielles, contrastant ainsi avec ceux de Jésus, au réalisme âcre. Déformé par la souffrance, le visage de Marie (4ème Station) a perdu toute féminité. On perçoit même, à travers un effort ultime et désespéré de sa part, une vaine tentative de cacher sa douleur afin de ne pas accentuer celle de son fils.Plus loin, à la 13ème Station, au moment où Marie prend son fils mort dans ses bras, personne ne pourrait reconnaître la Vierge de Lourdes ou de Fatima. La Mère de Jésus, dont la carnation rouge et le regard noir sont terrifiants, regarde fixement le spectateur (le peintre) en une expression où le mépris et le dégoût semblent mêlés ; sa lippe accusatrice ajoute encore à cette cinglante attitude.Non, ces œuvres d'art ne sont décidément pas faites pour plonger le visiteur dans une douce béatitude comme celle qui précèderait le sommeil ; elles l'empêchent, au contraire, de dormir. Dépassant le simple questionnement, elles constituent une véritable mise en accusation. Le spectateur ne contemple pas des tableaux ; il n'est pas davantage un témoin anonyme de l'agonie de Jésus et de la souffrance de ses proches, il en est l'auteur principal car il les voit à travers le regard du bourreau. Et c'est bien lui qui, à la Station n° 11, enfonce le clou dans la main de Jésus.

 

 


 

STATION N° 10 - 11STATION N° 10 - 11

STATION N° 10 - 11

Rémi Trotereau, Caravage du XXIème siècle ?

       De lointains échos semblent parfois lier certains êtres hors du commun dans leur quête de vérité et d'esthétisme, les réminiscences de leurs créations révélant, par-delà le temps, de surprenantes communions d'esprit.

          Tout semble séparer le Caravage, maître incontesté du clair-obscur, de Rémi Trotereau, l'auteur du Chemin de Croix acquis par la ville de Marmande. Pourtant, une mise en parallèle de la vie et de l'œuvre de chacun de ces deux artistes révèle de nombreux rapprochements troublants. Leur approche personnelle et insoumise dans le choix de la technique et des sujets n'en est pas le moindre. Nous retiendrons seulement que le Caravage utilisait son visage comme modèle de certaines de ces œuvres. Or, on relève une étonnante ressemblance entre le visage du Christ représenté par Rémi Trotereau et celui du peintre. Même la couronne d'épines de la 12ème Station semble être un prolongement de la chevelure rebelle de l'artiste ; d'ailleurs, le Christ, dont la tête se détache, tel un camée, de ce terrible tableau, n'a pas trente-trois ans, il a l'âge de Rémi Trotereau ; il est Trotereau lui-même.

         Le Caravage a prêté ses traits à son Goliath et à sa Méduse décapités, figeant pour toujours ce moment où il se tue lui-même. Comme Baudelaire se décrivant à la fois victime et bourreau dans un de ses poèmes**, Rémi Trotereau mélange lui aussi les cartes. A-t-il vraiment voulu se représenter en Jésus ou bien ce Christ souffrant et agonisant, à la fois mort et vivant, est-il la personnification de chacun d'entre nous ? Quelle est donc la place de l'artiste mais aussi celle du « spectateur » dans cette œuvre cathartique : victime ou bourreau, ferment du bien ou suppôt du mal?

          L'artiste est allé puiser très loin au fin fond du cloaque de notre humanité malfaisante et souffrante afin d'en remonter ces quatorze stations. Ces instantanés nous montrent notre vrai visage, mélange de boue, d'excrétions et de sang séché.

           Au Jardin des Oliviers, Jésus savait déjà que son départ était proche et qu'il serait profondément douloureux ; il s'est alors retiré pour cacher son angoisse aux apôtres et pour prier. Un instant plus tard, juste avant son arrestation, il a tenu à délivrer un discours d'espérance destiné à apaiser et à rassurer ses disciples, contemporains et futurs. Il n'y a rien de tel dans l'œuvre de Rémi Trotereau : son message est rouge comme la terre de Palestine et implacable comme le suaire de Turin, cette photographie laissée par le Père pour nous rappeler ce que nous avons fait à son fils, ce que nous nous sommes fait à nous-mêmes.

 

P-Y G


 

* le 4 avril 2016.

**l'Héautontimorouménos.

 

LE CHEMIN DE CROIX DU PEINTRE RÉMI TROTEREAULE CHEMIN DE CROIX DU PEINTRE RÉMI TROTEREAULE CHEMIN DE CROIX DU PEINTRE RÉMI TROTEREAU
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